Brève anthropologie de la géostratégie française et de son esprit de cour.

DANIEL NICOLAS FOUBERT

Géoéconomiste et fondateur d’Excalibur Insight, cabinet de conseil et d’analyse en affaires internationales basé à Varsovie.


Pourquoi la France a-t-elle décroché vis-à-vis du Royaume-Uni, qui était quatre fois plus pauvre et moins peuplé au XVIIème siècle ? Pourquoi Louis XIV n’a-t-il pas saisi l’intérêt du peuplement du Canada ni celui de la constitution d’une marine puissante ? Pourquoi a-t-il absorbé la France dans des guerres européennes sans fin ? Pourquoi a-t-il englouti la fortune du royaume dans des dépenses de prestige ? Pourquoi la France n’a-t-elle eu une flotte capable de rivaliser avec l’anglaise qu’à la fin du XVIIIème siècle ? Pourquoi Napoléon Ier s’est-il mis toute l’Europe à dos en installant sa famille sur chaque trône vacant ? Pourquoi Napoléon III a-t-il permis à l’Allemagne de se réunifier ? Pourquoi la France a-t-elle abandonné son architecture de sécurité européenne 7 ans seulement après la signature du traité de Versailles ? Pourquoi a-t-elle livré en pâture la Pologne à l’Allemagne en 1939 ? Pourquoi s’est-elle obstinée depuis le début de la guerre d’agression de la Russie à l’encontre de l’Ukraine dans une politique d’apaisement de la Russie qui lui a valu de perdre la moitié de sa crédibilité au sein de l’OTAN ? Pourquoi voulait-elle une nouvelle architecture de sécurité Européenne “de Lisbonne à Vladivostok” ? Pourquoi s’est-elle acharnée à promouvoir un concept “d’autonomie stratégique” Européenne dont on voit qu’il était totalement déconnecté de la réalité de la sécurité européenne ? Pourquoi la France se pose-t-elle en “puissance d’équilibre”, concept de gestion commerciale qui ne sert qu’à refuser d’adopter une stratégie internationale pertinente ?

À quoi ces problèmes tiennent-ils ? À la culture, au climat, au relief, à la situation géographique, voire à la composition géologique du sol ? Mais avant tout, nous sommes-nous vraiment penchés sur la question ? Bien sûr que non. Les problèmes les plus évidents sont plus difficiles à identifier que les problèmes cachés, car ils n’existeraient pas si nous nous en apercevions. Or la racine du mal est là : c’est la difficulté à se remettre en question.

Nous sommes souvent caractérisés comme arrogants, froids, désagréables, rigides, superficiels, hypocrites, procéduriers, voire maniaques. Le revers de la médaille comporte des qualités telle que la rationalité, la modération, le sens de l’esthétique, la patience, l’ambition, le sens de la synthèse, la concision, la précision, la maîtrise de soi, … Mais l’objectif n’est pas ici de nous flatter. Nous avons un problème fondamental de communication, qui est la première des infrastructures.

La France est un système, un organisme qui a été créé dans un certain environnement, pour y survivre avec un mode de vie adapté. Elle a été le premier État moderne. Aucun pays au monde ne nourrit un culte de l’État comparable à celui qui règne en France (à l’exception peut-être de la Chine). C’est de cela que la France paie aujourd’hui le prix. Premier système à s’adapter à la conflictualité de l’Europe post-romaine, elle souffre maintenant de sa difficulté à s’adapter à un monde fonctionnant selon des principes libéraux. Pire encore : certains organismes ont une plus ample capacité d’adaptation aux nouvelles circonstances, quelles qu’elles soient. Or la rigidité d’un système hiérarchisé encore plus que centralisé, hérité de la monarchie, cimente un esprit de cour qui handicape la critique et l’échange d’idées. La nécessité constante et propre aux Français de filtrer leurs propos peut autant en améliorer la qualité que les diluer dans les poncifs. Rappelons que les Anglais n’ont pas attendu le XVIIIème siècle pour couper la tête de deux rois. La révolution française a été inspirée par les expériences Anglo-Saxonnes. La démocratie est pour la France un système d’importation, difficilement acclimaté, qui gêne son mode de fonctionnement naturel et dont elle ne possède qu’une partie du mode d’emploi. La seule géographie de la France semble déjà la condamner : il n’est que de voir le poids démesuré de la métropole parisienne par rapport au reste du territoire. Si Paris était à l’embouchure d’un fleuve, comme Rotterdam, cette organisation fonctionnerait au moins sur le plan économique. La France est comme un organisme trop spécialisé qui ne peut plus évoluer. Elle est comme un échassier.

Cela débouche sur :

– une planification stratégique intermittente, avec une difficulté à se fixer des objectifs en dehors des moments de redressement national qui suivent les grandes crises.

– une compréhension poussive de l’environnement international. Il y a un problème de renseignement, l’information est loin de circuler avec la même capillarité que dans le monde Anglo-Saxon.

– un rapport excessivement hiérarchique au monde, qui se traduit par une realpolitik à la fois émoussée et dépassée.


Daniel Nicolas Foubert

Issu d’une famille franco-polonaise depuis quatre générations, géoéconomiste et fondateur du cabinet de conseil en affaires internationales Excalibur Insight, basé à Varsovie. Il s’emploie à développer les liens politiques et économiques entre la France et l’Europe centrale. D’abord Business Developer Europe dans la fintech française Lemon Way, il a ensuite été Analyste Fusion-Acquisition au sein de Suez Pologne et de Mazars Pologne, où il a notamment participé à la due diligence réalisée par Accor lors de la cession de sa participation dans Orbis pour 1,06 Md€. Il est diplômé d’un Master en Finance de l’École de Commerce Neoma ainsi que d’une Maîtrise en Relations Internationales et d’une Licence en Histoire de l’Université Paris-Sorbonne.